Pour les jeunes de 18 à 35 ans, trouver l'âme soeur n'est pas de tout repos. Lasses d'espérer que les messieurs feront les premiers pas, les Québécoises doivent prendre les devants. Ce phénomène, peu banal, annoncerait-il l'extinction de comportements masculins millénaires? Voyons de quoi il est question.
Le b. a.-ba de la séduction ne consiste-t-il pas à regarder l'autre dans les yeux, à lui sourire et à encourager spontanément un échange? Si. Dans de nombreux pays occidentaux, tels que la France, l'Italie et l'Argentine, c'est ainsi que les choses se passent lorsqu'un homme est attiré par une femme. Mais pas chez nous! Ici, les mâles ne font plus les premiers pas. Une femme qui désire avoir un amoureux doit s'adonner elle-même à la drague.
Et la situation ne semble pas changer. Comment expliquer cela? Deux journalistes, Jean-Sébastien Marsan et Emmanuelle Gril, ont fouillé le sujet en long et en large afin de découvrir la réponse à cette question. Elle se trouve dans le titre de leur récent bouquin, Les Québécois ne veulent plus draguer et encore moins séduire (Les Éditions de l'Homme, 2009). Intéressant, non?
Qui sont ces célibataires passifs?
Peut-on dégager le profil de cette génération de gars non séducteurs? Au Québec, bien des hommes semblent dominés par une peur irrationnelle du rejet sentimental, et ils ne flirtent presque plus. Les spécimens rarissimes qui se lancent encore dans quelque entreprise de séduction ou de drague ne font pas preuve de dextérité, expliquent les auteurs. Ils sont souvent indépendants sur le plan affectif et vivent seuls. On les dit volontiers narcissiques, réservés, allergiques aux conflits, épris de liberté... bien qu'ils rêvent toujours de l'amour romantique. En parfaite résonance avec le vide qu'ils ressentent par rapport à notre époque, ils sont en rupture avec le passé et l'histoire, refusent d'envisager l'avenir et l'absolu. Dans les faits, nombre de Québécois consacrent temps et argent à la télé, à l'ordinateur et au cocooning. Telles sont leurs priorités! S'ils font encore des rencontres amoureuses, celles-ci sont souvent brèves, malaisées et insatisfaisantes.Dans les lieux publics, en société...
L'attitude des gens de 18 à 35 ans est prévisible.Dans les bars, sur les terrasses, aux festivals: Aucun contact visuel n'est établi; l'homme ne regarde pas une femme dans les yeux lorsqu'il la croise dans la rue, dans le métro ou ailleurs. Soit son regard est fuyant, soit il est vissé au sol. Les hommes ne draguent pas non plus dans les bars. Ils se tiennent en petits groupes, entre eux, et n'abordent pas les individus de l'autre sexe. Certains se disent incapables d'approcher une belle inconnue, craignant par-dessus tout le rejet, l'humiliation ou la désapprobation sociale.
Aux soirées particulières: lorsque des célibataires québécois des deux sexes se rassemblent dans une maison, on observe des conduites d'isolement. Personne ne se soucie de faire les présentations: les gens se mettent à jaser deux à deux et ignorent les autres, qu'ils n'ont même pas salués. Difficile d'entrer en contact dans un tel climat de méfiance! Les gars n'ont aucune stratégie d'approche. Par exemple, un type invite chez lui des amis, dont une fille qui lui plaît. Il l'étudie à distance, discute un peu avec elle et se fait une certaine idée... sans lui manifester clairement son intérêt ni s'avancer. Sa position de repli le protège d'une déception ou d'un échec.
Pourquoi est-ce comme ça?
L'absence de comportements de séduction chez les jeunes mâles d'ici résulterait de divers facteurs qui ont façonné les attitudes et les moeurs au fil du temps.Le féminisme radical des années 70 aurait affaibli le discours amoureux et la galanterie.
L'invasion de la pornographie contaminerait les rapports amoureux et sexuels en les déshumanisant. «Aujourd'hui, la pornographie multiplie les scènes psychopathiques où le corps est un morceau de viande, et le sexe, un acte de destruction», selon les journalistes Jean-Sébastien Marsan et Emmanuelle Gril. Ainsi, les pornophiles évoluent dans des univers beaucoup plus dégradants, humiliants et violents qu'il y a 20 ans, et la misogynie y est omniprésente.
Et puis, la porno est accessible en un clic dans internet, à toute heure du jour et de la nuit, alors qu'on est bien au chaud dans son petit cocon... et pas obligé d'établir un contact avec l'autre sexe.
Le chacun pour soi n'aide pas: la proportion de la population qui vit seule ne cesse d'augmenter. On a beau rêver du grand amour monogame, les relations homme-femme ne résistent pas longtemps au choc du réel.
Des critères trop sélectifs ne favorisent pas la formation des couples. La recherche de l'âme soeur se résume souvent à une quête de la femme idéale. Il n'y a qu'à consulter les fiches individuelles des messieurs sur les sites de rencontres: chacun y va de sa longue liste d'exigences relatives aux mensurations, à la couleur des yeux et des cheveux, à l'état civil, à la profession, à la scolarité, à la situation financière... Les plus ambitieux visent «une entente parfaite» avec l'autre, rien de moins! Or, trop d'attentes tuent le plaisir et les occasions de faire des rencontres.
La précarité professionnelle et financière vient déstabiliser la sphère privée.
L'ère «postmoderne» dans laquelle on vit est une époque dépourvue de contenu, de sens et de repères qui engendre beaucoup de confusion. «La liberté est associée au marché, le bonheur, à la consommation, la séduction, à la publicité, le sexe, à la pornographie», notent les auteurs. Cet état d'esprit entretient une pauvreté des liens interpersonnels, une indifférence des uns vis-à-vis des autres.
Bref, rien ne va plus comme avant en matière de flirt; et on dirait bien que le renversement des rôles traditionnels va durer encore un petit moment! On peut même conclure que les jeunes mâles traversent une phase d'ambivalence; ils sont déchirés entre leurs aspirations amoureuses (le couple mythique, encore et toujours!) et leur immense besoin d'indépendance.