20 décembre 2014
Une laveuse ou une télévision qui vous lâche moins de cinq ans
après son achat et dont les coûts de réparation se révèlent plus élevés
qu’un nouvel appareil. Un téléphone « intelligent » qu’on remplace après
deux ans d’utilisation pour un nouveau modèle, ou un ordinateur encore
récent dont on ne peut plus mettre à jour les programmes.
Les exemples d’appareils électroniques ou électroménagers dont la durée de vie nous semble trop brève sont légion. Cette obsolescence, programmée dans certains cas, provoquée par des effets de mode ou la piètre qualité des matériaux dans d’autres, est une réalité pour ainsi dire indéniable.
« Les témoignages des réparateurs, mais aussi des consommateurs, indiquent clairement que les appareils durent de moins en moins longtemps et qu’ils ne sont plus conçus pour être réparés, constate Alexandre Plourde, avocat chez Option consommateurs. Les gens n’en ont pas pour leur argent. Mais pour le fabricant, il y a un intérêt économique puisqu’on augmente le taux de remplacement du bien. »
M. Plourde reconnaît toutefois qu’on manque de données pour démontrer hors de tout doute le phénomène, surtout lorsqu’il est question de l’obsolescence qui serait provoquée par un fabricant produisant un bien conçu pour ne pas durer.
Il existe néanmoins des exemples d’appareils dont la faible durée de vie a provoqué un certain tollé. C’est le cas de l’iPod d’Apple. La pile des premières générations de l’appareil, impossible à changer, rendait l’âme en moyenne après 18 mois d’utilisation. Et lorsque les consommateurs mécontents contactaient l’entreprise, on leur conseillait de se procurer un nouvel iPod.
Jugeant que cette situation avait toute l’apparence d’une politique d’obsolescence programmée, des clients ont intenté en 2003 un recours collectif contre la multinationale. Le géant a finalement décidé de dédommager les plaignants, mais aussi de mettre en place un service de remplacement de pile et une garantie prolongée à deux ans.
Une courte vie
Au-delà de ces cas médiatisés, Le Devoir a recueilli plusieurs témoignages de consommateurs dont les appareils électroniques ou électroménagers ont présenté diverses défectuosités dans des délais plus ou moins brefs. Les plaintes reliées à ce genre de situation représentent de « 40 à 50 % des appels chez Option consommateurs », souligne d’ailleurs Me Plourde.
Une étude du Centre de recherche sur le développement durable de l’Université d’Arizona a ainsi conclu qu’en 20 ans, la durée de vie d’un ordinateur est passée de 10 à 5 ans. Selon l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis, celle-ci avoisinerait même les trois ans, au mieux. Dans le cas du cellulaire, la moyenne mondiale dépasse à peine les deux ans. Le même phénomène de réduction de la durée de vie est présent pour les électroménagers — réfrigérateur, laveuse, lave-vaisselle —, qui étaient auparavant utilisés pendant plus d’une décennie.
« Il n’y a aucun doute que le cycle de vie des produits s’est raccourci », affirme Jacques Nantel, professeur titulaire de marketing à HEC Montréal. Il estime toutefois que cela ne se résume pas à un « complot » ourdi par les entreprises. « C’est une responsabilité partagée. On pourrait construire des biens qui durent plusieurs années. Ils seraient plus chers que ce qu’on achète aujourd’hui, mais sur le long terme, ils seraient beaucoup plus économiques. Le problème, c’est que les consommateurs n’en veulent pas. Ils ont des budgets planifiés à court terme, donc ce sont les produits les moins dispendieux qui vont prévaloir. »
Ces produits, habituellement fabriqués dans des complexes industriels situés en Asie, coûtent certes moins cher à produire, mais ils sont aussi moins durables. Et, bien souvent, les consommateurs constatent avec surprise qu’il est plus coûteux de les faire réparer que d’en acheter de nouveaux. « Le produit est fabriqué à un coût très bas parce qu’il est basé sur un coût de main-d’oeuvre très bas. Une fois ici, si on veut le réparer, la main-d’oeuvre est dix fois plus chère. C’est donc vu comme une anormalité de le réparer », explique M. Nantel.
Une culture consumériste
Dans le cas de l’électronique, comme les téléphones intelligents ou les tablettes, les consommateurs seraient de toute façon portés à acheter des appareils neufs plutôt que de les faire réparer.
Bombardés de publicités vantant la nouveauté et y accolant une image prestigieuse, voire avant-gardiste, ils ont parfaitement intégré la « culture » consumériste du jetable après usage, selon Bertrand Schepper, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques. Et ils sont prêts à s’endetter pour consommer.
Notre modèle économique basé sur une croissance infinie se maintient d’ailleurs essentiellement grâce à la consommation. Celle-ci représente près de 60 % du PIB canadien. « Le capitalisme et la société de consommation encouragent le phénomène, souligne M. Schepper. Ce n’est pas un complot, mais les entreprises ont un intérêt à revendre le même produit. Et personne ne s’attend, par exemple, à conserver le même téléphone cellulaire pendant 10 ans. »
Mais serait-il possible de légiférer pour obliger les entreprises à fabriquer des produits plus durables ? La chose apparaît complexe, selon Alexandre Plourde.
Il faudrait pour cela mettre en place une coordination internationale entre les pays producteurs et ceux où sont consommés les biens. La France vient d’adopter une loi interdisant l’obsolescence. Mais selon Me Plourde, celle-ci sera difficile à appliquer, en raison de la complexité de la preuve.
Pour le chercheur Bertrand Schepper, la réflexion doit de toute façon être plus profonde. « Il faudrait se demander s’il ne serait pas intéressant d’intégrer la durabilité dans nos valeurs, ou même de consommer moins. Par exemple, si nous décidions de produire des biens plus durables, serait-il possible de consommer moins, et donc de travailler moins et d’avoir plus de temps pour soi, pour être plus heureux ? »
Les exemples d’appareils électroniques ou électroménagers dont la durée de vie nous semble trop brève sont légion. Cette obsolescence, programmée dans certains cas, provoquée par des effets de mode ou la piètre qualité des matériaux dans d’autres, est une réalité pour ainsi dire indéniable.
« Les témoignages des réparateurs, mais aussi des consommateurs, indiquent clairement que les appareils durent de moins en moins longtemps et qu’ils ne sont plus conçus pour être réparés, constate Alexandre Plourde, avocat chez Option consommateurs. Les gens n’en ont pas pour leur argent. Mais pour le fabricant, il y a un intérêt économique puisqu’on augmente le taux de remplacement du bien. »
M. Plourde reconnaît toutefois qu’on manque de données pour démontrer hors de tout doute le phénomène, surtout lorsqu’il est question de l’obsolescence qui serait provoquée par un fabricant produisant un bien conçu pour ne pas durer.
Il existe néanmoins des exemples d’appareils dont la faible durée de vie a provoqué un certain tollé. C’est le cas de l’iPod d’Apple. La pile des premières générations de l’appareil, impossible à changer, rendait l’âme en moyenne après 18 mois d’utilisation. Et lorsque les consommateurs mécontents contactaient l’entreprise, on leur conseillait de se procurer un nouvel iPod.
Jugeant que cette situation avait toute l’apparence d’une politique d’obsolescence programmée, des clients ont intenté en 2003 un recours collectif contre la multinationale. Le géant a finalement décidé de dédommager les plaignants, mais aussi de mettre en place un service de remplacement de pile et une garantie prolongée à deux ans.
Une courte vie
Au-delà de ces cas médiatisés, Le Devoir a recueilli plusieurs témoignages de consommateurs dont les appareils électroniques ou électroménagers ont présenté diverses défectuosités dans des délais plus ou moins brefs. Les plaintes reliées à ce genre de situation représentent de « 40 à 50 % des appels chez Option consommateurs », souligne d’ailleurs Me Plourde.
Une étude du Centre de recherche sur le développement durable de l’Université d’Arizona a ainsi conclu qu’en 20 ans, la durée de vie d’un ordinateur est passée de 10 à 5 ans. Selon l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis, celle-ci avoisinerait même les trois ans, au mieux. Dans le cas du cellulaire, la moyenne mondiale dépasse à peine les deux ans. Le même phénomène de réduction de la durée de vie est présent pour les électroménagers — réfrigérateur, laveuse, lave-vaisselle —, qui étaient auparavant utilisés pendant plus d’une décennie.
« Il n’y a aucun doute que le cycle de vie des produits s’est raccourci », affirme Jacques Nantel, professeur titulaire de marketing à HEC Montréal. Il estime toutefois que cela ne se résume pas à un « complot » ourdi par les entreprises. « C’est une responsabilité partagée. On pourrait construire des biens qui durent plusieurs années. Ils seraient plus chers que ce qu’on achète aujourd’hui, mais sur le long terme, ils seraient beaucoup plus économiques. Le problème, c’est que les consommateurs n’en veulent pas. Ils ont des budgets planifiés à court terme, donc ce sont les produits les moins dispendieux qui vont prévaloir. »
Ces produits, habituellement fabriqués dans des complexes industriels situés en Asie, coûtent certes moins cher à produire, mais ils sont aussi moins durables. Et, bien souvent, les consommateurs constatent avec surprise qu’il est plus coûteux de les faire réparer que d’en acheter de nouveaux. « Le produit est fabriqué à un coût très bas parce qu’il est basé sur un coût de main-d’oeuvre très bas. Une fois ici, si on veut le réparer, la main-d’oeuvre est dix fois plus chère. C’est donc vu comme une anormalité de le réparer », explique M. Nantel.
Une culture consumériste
Dans le cas de l’électronique, comme les téléphones intelligents ou les tablettes, les consommateurs seraient de toute façon portés à acheter des appareils neufs plutôt que de les faire réparer.
Bombardés de publicités vantant la nouveauté et y accolant une image prestigieuse, voire avant-gardiste, ils ont parfaitement intégré la « culture » consumériste du jetable après usage, selon Bertrand Schepper, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques. Et ils sont prêts à s’endetter pour consommer.
Notre modèle économique basé sur une croissance infinie se maintient d’ailleurs essentiellement grâce à la consommation. Celle-ci représente près de 60 % du PIB canadien. « Le capitalisme et la société de consommation encouragent le phénomène, souligne M. Schepper. Ce n’est pas un complot, mais les entreprises ont un intérêt à revendre le même produit. Et personne ne s’attend, par exemple, à conserver le même téléphone cellulaire pendant 10 ans. »
Mais serait-il possible de légiférer pour obliger les entreprises à fabriquer des produits plus durables ? La chose apparaît complexe, selon Alexandre Plourde.
Il faudrait pour cela mettre en place une coordination internationale entre les pays producteurs et ceux où sont consommés les biens. La France vient d’adopter une loi interdisant l’obsolescence. Mais selon Me Plourde, celle-ci sera difficile à appliquer, en raison de la complexité de la preuve.
Pour le chercheur Bertrand Schepper, la réflexion doit de toute façon être plus profonde. « Il faudrait se demander s’il ne serait pas intéressant d’intégrer la durabilité dans nos valeurs, ou même de consommer moins. Par exemple, si nous décidions de produire des biens plus durables, serait-il possible de consommer moins, et donc de travailler moins et d’avoir plus de temps pour soi, pour être plus heureux ? »
Le documentaire «Prêt à jeter», réalisé par Cosima Dannoritzer en 2010